Détroit de Torres ? Adieu le Pacifique, et vers le dédale du détroit…


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Un jour, il faut songer à quitter l’océan Pacifique. Et pourtant, j’y reviendrais bien, pour pousser mes étraves un peu plus loin, dans des coins comme je les aime, hors des sentiers battus. A bord de Jangada, nous avons franchi le détroit de Torrès par vent musclé, ciel bas et sombre, et pour l’essentiel de nuit. Ce qui n’est pas une recommandation à faire aux navigateurs débutants… Je dis cela modestement, mais il ne faut tromper personne. C’est un coin dangereux.

Pour l’heure, plus prosaïquement, nous sommes dans ce que j’appelle élégamment l’anus du Pacifique. Si, si, c’est une image adaptée. Cette région tout à l’ouest du grand océan, formant un entonnoir entre au nord les îles Salomon et la Papouasie Nouvelle-Guinée, et au sud le Queensland australien, nous a donné maintes fois ces dernières semaines la preuve que s’y concentraient nuages, vents, orages et précipitations. Pour poursuivre cette métaphore digestive audacieuse, disons que notre voilier peut être provisoirement assimilé à une petite perle du Pacifique qui aurait été ingurgitée par inadvertance par l’immense océan et dont on attendrait l’expulsion salvatrice à la sortie … du détroit de Torrès, dans l’océan Indien !

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Retour à la lumière, au ciel bleu, au soleil des tropiques, côté mer d’Arafura. C’est notre objectif du moment, passer de l’océan Pacifique à l’océan Indien. Pour ce faire, il faut traverser une région maritime complexe sur le plan de la cartographie, une région qui inquiétait à ce point les grands navigateurs d’autrefois qu’ils avaient parfois du mal à trouver le sommeil des semaines avant d’y parvenir. Sait-on que l’une des raisons qui a contribué à la mutinerie survenue à bord du Bounty aux Tonga a été la nervosité grandissante du capitaine Bligh à l’approche du détroit de Torrès, devant ce qu’il considérait comme le laisser-aller de l’équipage qui s’était insidieusement installé à bord du navire pendant les mois d’escale à Tahiti. Une situation qu’il avait peine à reprendre en main, alors que le franchissement du détroit approchait, et se trouvait être le dernier mais aussi le plus sérieux obstacle à la réussite de la mission que lui avait confiée l’Amirauté britannique.

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Moi, modeste marin des années 2000, utilisant la cartographie électronique, la navigation par satellites, et naviguant à bord d’un excellent voilier, je peux vous dire que tenter de franchir le détroit de Torrès et ses multiples dangers, à la fin du XVIIIe siècle, en l’état de la cartographie connue et des instruments de navigation disponibles à l’époque, avec des voiliers lourds et peu manœuvrants, c’était une aventure à hauts risques. Réussir à le franchir était un exploit. Y faire naufrage était la norme.

Pendant le coup de vent essuyé à Port-Moresby, j’ai passé du temps à étudier les parages du détroit, et j’ai programmé pour cette occasion exceptionnelle sur les deux récepteurs de navigation par satellites du bord une liste d’une bonne vingtaine de waypoints, qui jalonnent les tronçons de route que nous devrons suivre dans le détroit pour rejoindre la mer d’Arafura.

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81 milles marins séparent dans l’axe nord/sud le cap York, extrême nord du mainland australien, de la pointe sud de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Ce passage complexe est truffé de hauts-fonds affleurants, de récifs coralliens, d’îles et d’îlots posés çà et là au gré des caprices du Great Barrier Reef, qui pousse jusque-là son fabuleux empire de vie sous-marine. C’est ainsi que, …